1) Télécharger la vidéo-témoin, avec l’accompagnement de piano et le chef qui dirige.
2) Lire les instructions. Il faut se filmer sur son téléphone, lequel doit être distant d’1,50m et placé en format paysage, tout en chantant sur la vidéo que l’on écoutera sur son ordi via des oreillettes.
3) Sachant que le câble des oreillettes fait 0,90m, calculer la position relative de l’ordinateur et du téléphone.
4) Poser l’ordinateur sur le bureau.
5) Se demander où diantre on va pouvoir poser le téléphone. Essayer sur le bureau, à côté de l’ordi.
6) Constater que l’angle du téléphone ainsi posé en contre-plongée est incompatible avec la dignité humaine. Poser le téléphone sur l’étagère du bureau, au-dessus de l’ordi.
7) Remarquer que, dans cette configuration, on est tout au plus à un petit mètre du téléphone. Se dire que ça ne doit pas être si grave.
8) Préparer sa partition, lancer l’enregistrement sur le téléphone et la vidéo de contrôle sur l'ordinateur.
9) Se concentrer pour frapper dans les mains à la fin du décompte de démarrage de la vidéo, afin de permettre au réalisateur de synchroniser toutes les vidéos par la suite.
10) Frapper dans les mains pile au bon moment.
11) Patienter, car les mezzos n’interviennent qu’à la mesure 77. Tâcher de garder un air digne à l'image d’ici là.
12) Rater l’entrée des mezzos. Reprendre les étapes 8 à 11.
13) Faire une première prise pas très en place. Reprendre les étapes 8 à 11.
14) Faire une prise correcte, mais avec un petit chat sur une note. Reprendre les étapes 8 à 11.
15) Réussir magistralement la prise jusqu’à la mesure 99, à laquelle le téléphone affiche « Stockage saturé » et efface la prise. Jurer très fort.
16) Passer une demi-heure à importer les prises existantes. Les effacer sur le téléphone. S’apercevoir que le stockage est toujours saturé. Comprendre qu’il faut également vider l’album « récemment supprimés ». Reprendre les étapes 8 à 11.
17) Faire une prise correcte. Se demander si ça ne serait pas drôle d’en faire une version délirante, avec un top à paillettes et le petit bibi improbable acheté pour un mariage.
18) Constater que le bibi ne rentre pas dans le format horizontal, et qu’en réalité on a plutôt l’air d’être en train de perdre la raison tout de bon. Chercher à évaluer dans quelle mesure cette impression est exagérée. Enlever le bibi et le top à paillettes. Trouver dans son armoire un top qui rendra bien mieux à l’image que celui qu’on avait. Mettre le top. Reprendre les étapes 8 à 11.
19) Faire une prise correcte. Par sécurité, en refaire une. Le téléphone affichera « stockage saturé » à la mesure 108 ; reprendre à l’étape 16.
20) Faire une prise correcte. Pousser un profond soupir. Importer la dernière prise sur l’ordinateur, et visionner le tout.
21) Constater que le micro du téléphone a saturé à chaque prise et qu’elles sont inexploitables. Aller se coucher.
22) Le lendemain, déménager l’installation dans le salon, où l’on disposera de plus de recul. Chercher un arrière-plan qui ne donne pas l’impression que l’on souffre du syndrome de Diogène. Opter pour s’installer dos à la bibliothèque et à l’harmonium. Chercher un endroit où poser le téléphone en hauteur et néanmoins en sécurité. Constater qu’il n’y en a pas.
23) Lever les yeux. Apercevoir le lustre.
24) Au moyen de 80cm de fil de fer, suspendre le téléphone au lustre. Chercher une solution pour l’ordinateur, se souvenir que le support qu’on utilise, en spectacle, pour un piano-jouet, est en fait un stand d’ordi. Installer le stand. Dire une courte prière pour qu’il soit vraiment stable.
25) Régler l’orientation du téléphone en triturant le fil de fer. Réaliser quelques essais jusqu’à trouver la distance où le micro du téléphone ne saturera pas.
26) Reprendre l’étape 8. S’apercevoir que l’harmonium, derrière soi, est couvert d’une épaisse couche de poussière. Aller chercher un plumeau et répartir harmonieusement la poussière dans tout le salon.
27) Reprendre l’étape 8. Comme le téléphone, suspendu au lustre, se balance longuement après avoir été touché pour lancer l'enregistrement, attendre deux ou trois minutes avant de lancer la vidéo-témoin. Faire une prise correcte.
28) Débrancher les oreillettes de l’ordinateur pour les brancher sur le téléphone au-dessus de votre tête. Contrôler la prise. En relancer une par sécurité. Reprendre l’étape 15. Abandonner l’idée d’une deuxième prise.
29) Importer l’unique prise complète sur l’ordinateur. Constater que le balancement résiduel du lustre et du téléphone rend l’ensemble plus insoutenable qu’un film Dogme tourné en état d’ébriété sur un chalutier en mauvaise posture. Envisager l’abandon complet de l’opération.
30) Aller chercher un pied de micro, modèle à perche. Le régler le plus en hauteur possible. Au moyen d’un nouveau mètre de fil de fer, ligoter le téléphone au sommet de la perche. Reprendre les étapes 8 à 14, puis 28.
31) Constater que, dans l’unique prise exploitable, le micro du téléphone a tout de même tordu sur une note. Se dire qu’on boirait bien un bon whisky. Se souvenir qu’on a pour règle d'airain de ne jamais boire seul chez soi. Même confiné ? Surtout confiné. Envoyer la vidéo telle quelle, avec un petit mot disant qu’on espère que la petite saturation ne sera pas trop gênante.
32) Une fois la vidéo expédiée, s’apercevoir que toutes les étapes 22 à 31 ont été réalisées non avec le joli top de la veille, mais avec le vieux pull d’intérieur, celui qui a un gigantesque trou sous le bras. Se rasséréner à l’idée qu’on avait la partition dans les mains et qu’il est donc peu probable qu’on ait levé le bras.
33) Se préparer un grand mug de tisane. Contempler le soleil couchant. Aller regarder quelques riches Britanniques s’entretuer, et Hercule Poirot démasquer le meurtrier. Se demander combien il a fallu faire de prises de cette scène-ci, et de celle-là.
34) Le coupable est l’archéologue.