Ça y est ! Si vous surveillez l’actu ici même ou sur le Livre des Visages, vous n’êtes pas sans savoir qu’enfin, enfin, Les Chants du livre bleu sont sortis ! Vous les trouverez dans un certain nombre de bonnes adresses du royaume, ou bien vous pouvez leur faire fendre l'air jusqu’à votre boîte à lettres au moyen du lien dans la colonne de gauche. Mais certains d’entre vous m’ont, fort légitimement, demandé de leur préciser un peu de quoi il retournait. Vous trouverez ci-dessous le texte qui a été envoyé à la presse en accompagnement de la Chose. J’ai aussi eu l’occasion d’écrire au (long) fil de ce projet, il y a longtemps, un peu moins longtemps, et pas longtemps du tout (quoique trop longtemps — c’était quand nous espérions encore avoir fini pour mai dernier !). En attendant que je dote ce site, avec une ponctualité elle aussi tout droit sortie d'un Lewis Caroll, d’une véritable page « discographie »…
LES CHANTS DU LIVRE BLEU
Marthe Vassallo : chant a capella, pianos-jouets, Dulcitone
Alban Moraud : réalisation sonore
Charles Vassallo : photographies
1913 : Maurice Duhamel, jeune compositeur, publie un imposant recueil de mélodies populaires bretonnes. Cent ans plus tard, Marthe Vassallo s'y plonge pour un disque et un livre palpitants, mettant en résonance la mémoire des gwerzioù, les confidences d'une chanteuse d'aujourd'hui, et l'étonnant itinéraire d'un artiste militant entre Paris et Bretagne à la Belle Epoque. Une réflexion sur l'interprétation, l'oralité, la musique et le temps, en même temps qu'une galerie de personnages et d'histoires pleine de mouvement et de sensibilité.
« En me penchant sur les 430 partitions de Musiques Bretonnes, j’ai été aspirée, comme Alice au Pays des Merveilles, dans un puits de questions, de découvertes et de nouveaux mystères. C’est que, comme des petites portes magiques, elles ouvrent sur d’autres temps. Il y a le temps des chansons, peuplé de seigneurs brigands, de tailleurs, de jeunes filles désespérées et de bébés qui parlent, et où mélodies et paroles se trouvent et se quittent en un bal sans fin ; celui de Duhamel et de ses chanteurs, où les phonographes et le régionalisme des lettrés croisent la dure vie des femmes de marin analphabètes ; le mien, celui d’une chanteuse du XXIe siècle qui lit ces chansons, les entend à sa façon et les porte à son tour. Comme Alice, on croit s’y perdre, et une fois ressorti on comprend qu’au contraire on s’y est trouvé…
Dans le disque, j’ai cherché à partager ce sentiment d’une autre dimension. Je ne voulais pas un récital de chant traditionnel mais un rêve, tantôt troublant, tantôt apaisant. Un monde où les chansons jouent à cache-cache, surgissent d’un court thème au piano-jouet, se répondent, traversent l’espace et le font changer à volonté de dimensions et de plans. Un monde aussi où elles prennent tous les états de la voix, du murmure jusqu’à la gorge déployée.
Cela nous a menés, Alban Moraud et moi, à choisir non pas une mais quatre églises et chapelles pour l’enregistrement, parmi celles où le Petit Festival a coutume d’installer ses merveilles : Saint-Barthélémy au Ponthou, Notre-Dame-des-Joies à Guimaëc, Notre-Dame de Kernitron à Lanmeur et St Nicolas à Plufur. Les trois dernières ont été photographiées par Charles Vassallo, qui les a traitées lui aussi comme des partitions à déchiffrer, en lumière et en regard. (C’est pour son art de révéler la vie des objets et des matières que je l’ai invité à se joindre à l’aventure. Le fait que nous soyons père et fille n'a fait que joindre l'agréable à l'utile !)
Le livre suit le plan du disque ; à partir du texte de chaque chanson, il explore une ou plusieurs des questions que pose Musiques Bretonnes. Il est construit comme une conversation à plusieurs « voix » dont chacune s’intéresse à un aspect différent : la matière des chansons (les surprises de la tradition orale, les histoires en Technicolor des gwerzioù et leur rapport élastique à la réalité), l’aventure intime de les interpréter aujourd’hui, l’itinéraire complexe de Maurice Duhamel (musicien, militant et homme de plume) et les personnalités de ses chanteurs-informateurs… Là aussi, on peut se perdre entre tous ces niveaux, c’est même presque le but du jeu ! Parce que c’est là que l’on commence à voir combien, en réalité, ils se répondent et se complètent.
J’ai toujours écrit en pensant à un lecteur qui n’y connaîtrait rien : ni en musique bretonne, ni en musique tout court. Plusieurs fois, en parlant du travail en cours à des amis, je me suis aperçue que ce qui était évident pour moi ne l’était pas pour eux, et j’en ai enrichi le texte. C’est pourquoi on trouvera là quelques réflexions sur la tradition orale ou sur l’écriture de la musique que, semble-t-il, peu de musiciens pensent d’ordinaire à exprimer. Quant à la vie de Maurice Duhamel, si je suis loin d’en avoir fait le tour, j’ai tout de même réuni beaucoup d’informations inaccessibles au public : d’où la nécessité d’une annexe biographique.
Ce n’est sûrement pas un hasard si c’est au bout de deux bonnes décennies de chant que je me suis lancée dans ce travail. Il a été pour moi un temps de réflexion, presque de bilan. L’occasion, aussi, d’un travail de recherche comme je n’en avais encore jamais fait, un jeu de piste fou et addictif entre manuscrits, lettres, publications, archives… Mais surtout, surtout, il m’a permis de vérifier à quel point j’aime, j’admire, je veux promouvoir encore et toujours la beauté, la force et la vie des chansons a capella et en particulier des gwerzioù et sonioù, ces histoires et ces airs qui ont réussi à rester pertinents pour chaque génération pendant des siècles. C’était la première raison d’être de ce projet ; cela reste la plus ferme conclusion que j’en tire. »