Quelle fête ce fut, en août, que ce Finisterres Celtiques de l’Orchestre National de Bretagne pour les 50 ans du Festival Interceltique de Lorient ! (Si vous êtes sur Facebook, en voici quelques courts instants.) Six pièces, pour la plupart spécialement écrites, par six compositeurs des pays dits celtiques ; l’émotion du retour dans une grande salle après plus d’un an de famine, résonant avec le thème du chez-soi qu’évoquait à sa façon chacune des compositions ; les retrouvailles avec l’Orchestre au complet (après nos Miniatures en petits effectifs, arrachées aux rigueur de l’été 2020) et le chef Grant Llewellyn ; une cohorte de solistes et d'invités tous plus soufflants et adorables les uns que les autres ; last but not least, la joie de collaborer à nouveau avec Frédérique Lory, qui sait comme personne raconter la vie organique d’une musique traditionnelle avec les mots d’un orchestre symphonique.
Parmi les solistes, il y avait Jean-Baptiste Leclère. Premier percussion solo de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, Jean-Baptiste n’est pas exactement un habitué des festoù-noz et des sessions irlandaises, mais il s’est vite avéré que c’est un homme qui sait vivre et ne manque pas d'appétit pour la découverte. Et c’est heureux car, si la partition pour faux pis de vache et vrai bac de terreau – dans le poignant Tierra de Ramon Prada – était tenue par son collègue asturien, en revanche, dans le Alawon du gallois Sir Karl Jenkins, c’est bien à lui que revenait de jouer la partie de percussions solo sur… sabots. Entendons-nous bien : pas sur un article de percussions archi-spécialisé qui existerait dans un coin sombre de La Baguetterie et que l’on aurait baptisé « sabot » ; non, non, juste sur une bonne vieille paire de botoù-koad.
Seulement, voyez-vous, des botoù-koad, à Paris, ça ne se trouve pas sous le pas d’un cheval. (Le cheval non plus, d’ailleurs.) Recevant la partition assez tard comme il se doit pour une création, Jean-Baptiste n’avait pu que se tourner fissa vers l’oracle commercial universel : dans les tréfonds d’un magasin virtuel dont le nom commence par un A, il avait trouvé une paire de sabots en peuplier, vendus par un marchand hollandais et probablement plus taillés pour un défilé en costume national à Amsterdam que pour les travaux des champs.
Le peuplier a bravement tenu toutes les répétitions, et jusqu’à la création à Lorient : certes il faisait un peu neuf, mais il avait un son clair qui ressortait bien. Seulement, quelques jours plus tard, nous devions rejouer Alawon à Dinard ; à la répétition de la veille, il s’avéra que l’un des sabots, le bois fendu, avait rendu l'âme. Et nous voilà fort marris, à Rennes un vendredi soir, avec pour mission de trouver au moins un sabot de bois pour le lendemain soir.
« Ah, se dit votre servante, que n’ai-je fait le détour par chez moi, comme l’idée m’en avait traversée, pour apporter mes super botoù-koad de Belle-Isle-en-Terre ! » (Ami lecteur urbain, sérieusement, on n’a rien trouvé de mieux que l’ensemble chaussons + botoù-koad pour passer de la maison au jardin l’hiver.) « Bon, mais des sabots, ça doit tout de même pouvoir se trouver dans le coin. » Las, une heure plus tard, mes coups de fil aux copains du Cercle Celtique de Rennes n’avaient rien donné ; au magasin de bretonneries du centre-ville, le vendeur m’avait regardée comme si je lui avais demandé s’il avait des vidéos zoophiles ; l’heure tournait, et aucun sabot ne sortait d’une armoire pour se porter volontaire. Ça ne se passerait pas comme ça, ah mais ; et me voilà sur Internet, gouguelant avec opiniâtreté, cherchant tous les angles possibles pour localiser des chaussures en bois.
La chose prit un petit moment, le temps de remuer les archives de la presse locale, mais je finis par apprendre que 1) il n’y a plus que trois sabotiers en Bretagne (dont le « mien » à Benac'h) ; 2) deux d’entre eux sont en train de prendre leur retraite ; 3) le troisième est déjà retraité… de sa carrière de professeur en IUT, et en a profité pour reprendre l'équipement de son père, qu’il a changé en une sorte de « musée atelier », le Musée du Sabot à Pléven. Pléven ? Ah, mais voilà qui ne serait pas délirant entre Dinard et Rennes. Encore faut-il que le sabotier entende le message de Jean-Baptiste, laissé vers 19h00 au numéro fixe du musée – et aussi qu’il ne hausse pas les épaules au caractère quelque peu insolite de la demande ! Sur ce suspense, je repars vers ma chambre pour la nuit, non sans renouveler mon offre, au pire, de faire l’aller-retour chez moi le lendemain matin.
A 22h50, message de Jean-Baptiste : le sabotier, M. Joël Pierre, lui a répondu ! Rendez-vous est pris pour le lendemain, avec notre collègue David comme chauffeur. Dans la voiture qui m’emmènera aux balances, je recevrai des photos réjouissantes :
Non seulement Joël Pierre offre à Jean-Baptiste une vieille paire de sabots qu’il avait en exposition, mais surtout il en fabrique une autre sous ses yeux – et il vient au concert le soir avec son épouse. Comme je l’avais espéré, on parle là de vrais sabots des champs, en hêtre, qui sonneront autrement bien ; et comme il y en a, du coup, de deux tailles différentes, on gagne deux fois en richesse. (Sans compter que, la vieille paire ayant eu le temps d’héberger quelques vrillettes, elle fait un peu fumigène en même temps.)
Bilan de l’histoire : la Danse des Sabots a sonné pour de bon ; le sabotier a entendu un très beau concert où son travail avait une place d’honneur ; le percussionniste a visité un coin d’un monde qui lui était inconnu (il est aussi rentré à Paris avec des bagages un peu plus encombrants et biscornus qu’à l’aller, mais on n’a rien sans rien) ; et quant à la chanteuse, décrivant la Quête du Sabot dans un mail à un autre des compositeurs de Finisterres Celtiques – l’écossais Paul Leonard Morgan, dont vous pouvez retrouver sur Facebook le Celtic Concerto avec votre servante –, elle concluait : « J’adore ce métier. Et ce n’est même pas une blague. »
(Merci à Jean-Baptiste pour les photos, et bien sûr à Joël Pierre !)