Les chansons racontent, 3 : Le Fin Filou

La troisième des chansons résumées et traduites, toujours dans le défi d’une seule page, pour les lecteurs du magazine de Lannion Trégor Communauté. Quand, à la fin de l’été, je me suis mise au travail pour le numéro de novembre, je me suis dit que pour le premier des « mizioù du », les mois noirs , une chanson légère ne serait pas de trop. J’avais raison, je crois… 


Publiée en breton sur feuilles volantes au XIXe, notamment par Alexandre Lédan de Morlaix, cette histoire se chantait aussi en français jusqu’au Canada ; mais loin d’une traduction, la version bretonne est une réinvention tout en détails savoureux. Marie Turnier, de Ploumilliau, la chanta ainsi à Bernard Lasbleiz en 1992. 

Notre « filou » est un jeune bourgeois « bien mis et comme il faut – natif, je crois, du Léon » (et hop, un coup de patte chez les voisins !)… 

Skuizh er gêr bezañ re vaget (meur a hini zo) / Ma ’neus lakaet en e spered mont da redek bro

Lassé de faire du gras chez lui (cela arrive à plus d’un) / Il se mit en tête d’aller voir du pays

Cap vers l’est : Guingamp, St Brieuc, St Malo… Il pousse jusqu’à Paris, mais voilà : e yalc’h a oa deuet da bladañ, sa bourse se fait plate… Tout à ses goûts de luxe, il descend dans une auberge, cachant qu’il n’a plus un liard. On le reçoit avec zèle : il présente si bien.   

Pa ’nevoa debret hag evet, c’hoariet e rol / D’ar plac’h neuze e lavaras diservijiñ an daol / Mennit ho plajoù, boutailhoù hag ivez ho kwerenn / Ma c’heset d’am c’hambr da gousket ’n ur gwele kempenn ! 

Quand il eut bien mangé, bu et joué son rôle, il ordonna à la servante : « emportez vos bouteilles, et menez-moi dormir dans un lit bien fait ! »

Bien fait ou pas, il n’y ferme pas l’œil : comment faire pour esquiver l’addition ?

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Gwelomp breman finese ar filouter fin / Un div pe deir eur a-raok an deiz ’h eas er jardin / Buan e oa bet komañset da doullañ an douar / E vragoù en deus plantet en toull-se raktal ! 

Voyons la ruse du fin filou : deux ou trois heures avant le jour il alla au jardin. Il creusa en vitesse un trou dans la terre, et y planta son pantalon ! 

Puis il retourne au lit et s’endort… Au matin, il s’époumonne : 

Forzh, ma mignoned, emezañ, sikour, me ho ped / Rak ma bragoù ha ma arc’hant a zo tout laeret ! 

A moi, amis ! Au secours, par pitié ! On m’a volé mon pantalon et mon argent ! 

L’aubergiste et sa femme tentent de le faire taire, promettent de le rembourser. Pas si facile : 

N’eo ket emezañ ma bragoù am gra chagrinet / Ma holl arc’hant a oa ennañ, me zo rivinet… / Bezañ ’oa serten en arc’hant hag en aour melen / Daou c’hant skoed, ha pevar real ’nem gave ouzhpenn ! 

Ce n’est pas mon pantalon qui me chagrine, c’est tout mon argent qui était dedans, je suis ruiné… Il y avait là deux cent écus d’argent et d’or, et quatre réaux !

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Fouilhet e oa bet dre an ti ar servijerien / Mevel, matezh, paotr-marchossi, bugale ouzhpenn / Eñ a oa sur deus e afer, hag a grie bepred 

On fouilla la maisonnée entière : valet, servante, garçon d’écurie, enfants compris ! Lui, sûr de son affaire, criait toujours… 

Intentet, emezañ, ostiz, barzh en berr langaj  / Ma ne rentet din ma bragoù, me ’rey deoc’h domaj / Eviton me ’gavo testoù, na pa vankfe kant din / ’Vit lâret ’oan ket divragoù pa oan deuet d’ho ti ! 

Je vous le dis tout net, l’aubergiste : si vous ne me rendez pas mon pantalon, je porte plainte ! Je trouverai des témoins, quand il m’en faudrait cent, pour certifier que je n’étais pas sans pantalon en entrant chez vous ! 

Il finit par proposer un compromis : cent écus, plus un beau pantalon de drap anglais. L’aubergiste accepte et, soulagé, lui offre encore le déjeuner…

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A-benn tri deiz goude, an ostiz, o terriñ ar jardin / A neus kavet en douar bragoù ar paotr fin / Hag eñ o komañs da grial ouzh a bouez e benn : / Hemañ zo tro ur filouter, ha me zo un azen ! / Kollet em eus eta kant skoed hag ur bragoù mezher / Ha c’hoazh em eus lardet e gof d’ur fripon, tamm laer ! 

Trois jours plus tard, l’aubergiste, retournant son jardin, découvrit le pantalon du petit malin… Il se mit à crier à tue-tête : « ça, c’est un tour de filou, et moi, je suis un âne ! J’ai perdu cent écus et un pantalon, et par-dessus le marché j’ai engraissé un gredin ! »

Il ne lui reste qu’à conclure par un avertissement à ses confrères : gardez-vous bien de loger les filous !



Où l’entendre ? aux points de consultation Dastum (pour les trégorrois, Ti ar Vro à Cavan ou l’Ecole de Musique du Trégor) : plusieurs versions dont celle de Marie Turnier (n°a13827). 

Où la lire en entier ? Sur le site kan.bzh ou dans les Carnets de Route d’Ifig Troadeg (Dastum).


Merci à Daniel Giraudon et Robert Bouthillier pour leurs renseignements.