Du temps où j'habitais une campagne assez plane, je m'étais offert un vélo. Lui et moi avons cumulé quelques joyeuses heures de vol, ensuite de quoi j'ai emménagé à Lannion, et notre amour s'est avéré impossible. Partout autour de la maison, des côtes qui exigeaient la troisième, voire la seconde en voiture ; arrivée en ville, re-côte, où qu'il soit question d'aller. Si j'avais voulu pratiquer un sport de l'extrême, j'aurais trouvé mon bonheur. Mais je voulais seulement m'aérer en allant du point A au point B, et mon vélo s’est vite enfoncé dans les abysses du garage.
Il y a deux ans, j'ai échangé un ample lambeau de la peau de mon postérieur contre un vélo à assistance électrique. Deux mille sept cent kilomètres plus tard, je suis catégorique : jamais mon fondement n'avait été écorché (et subséquemment réduit en capilotade, mais c’est une autre histoire) à aussi bon escient. C'est donc avec tout le prosélytisme d'une convertie comblée que je vous fais part des réponses aux questions qu'on me pose le plus souvent à propos de mon miraculeux destrier.
C'est comme un solex ?
Pas du tout. Le vélo électrique reste un vélo : si je ne pédale pas, ça n'avance pas. En revanche c'est un vélo mû par l'amour de son prochain (et par une batterie au lithium) : si je le lui demande il m'aide. L'effet obtenu est celui d'un bon vent dans le dos, plus ou moins fort suivant le degré d'assistance choisi, la subtilité de l'offre variant suivant les modèles. Le mien a 7 vitesses (vitesses normales de vélo, s'entend) et 6 niveaux d'assistance : autant dire que je vis dans un luxe d'options.
Donc tu te la coules douce ?
En Beauce ou à Rotterdam, ce serait sans doute le cas. Dans les raidillons de Bretagne Nord, croyez-moi, il faut tout de même y mettre du jarret et du palpitant – et j'ai une bonne batterie ! Ce que fait vraiment le vélo électrique, ce n'est pas supprimer tout effort, c'est vous permettre de le doser. Si le terrain est vraiment plat et que je ne suis pas pressée je n'utilise pas l'assistance, si j'ai des carottes sur le feu je m'aide des deux premiers niveaux. Dans les côtes, je module suivant mon envie de faire du sport ou d'arriver vivante – ou encore de rouler longtemps. Parce que le grand, grand bonheur du vélocipède coopérant, c'est qu'en atténuant la violence de l'effort sans l'annuler il vous permet à la fois de vous remuer et de vous déplacer vraiment. Mon trajet régulier de 35 km est une bonne balade d'une heure et demie, au lieu de la randonnée éprouvante de plus de deux heures qu'il serait sur un vélo normal.
C’est vraiment écolo ?
Plus que la voiture, la moto et le scooter. Moins que le vrai vélo. Plus que le vrai vélo au fond du garage.
Ça recharge quand tu roules ?
Non. J'ignore s'il existe aujourd'hui des modèles performants de ce genre. Quand je m'étais renseignée ils étaient introuvables et réputés ne pas développer une puissance suffisante pour faire face aux traîtrises des vallées du Trégor. Le mien est donc, comme tous ou presque, pourvu d'une batterie à recharger à la maison, comme celle de votre portable ou du ramasse-miettes inutile de la tante Hortense. L'autonomie ? Très, très variable suivant votre modèle et les efforts que vous faites ou non. Avec mon "milieu de gamme", si j'y mets du mien je peux rouler 70 à 80 km trégorrois. J'imagine qu'aux Pays-Bas ça serait plus (quoique : on ne se méfie jamais assez d’un pays certes dépourvu de côtes mais également de descentes !), et qu'en Bretagne si je me laissais vraiment vivre ça tomberait à 50 ou 60.
Et qu'est-ce qui se passe quand tu n'as plus de batterie ?
En Bretagne, c'est un accident qui n'arrive qu'une fois… Sur du plat, du vrai, aucun souci ; mais l'aimable bestiole pèse tout de même 23 kg, faisant du moindre faux-plat un Tourmalet de cauchemar. Cela tend à vous créer très vite des réflexes de recharge assez efficaces.
Et sous la pluie ?
Les fabricants sérieux n'iraient pas vendre un vélo que le moindre crachin effaroucherait. Il est seulement conseillé d'éviter les pluies battantes et les grosse flaques. En revanche pour ma part je ne me risquerais pas à garer le mien sous la pluie, ni même dans la rosée nocturne : c'est tout de même un bidule électrique et qui vaut un bras.
Le tien, c'est un quoi ?
Je peux bien lui faire de la pub puisque j'en suis contente : c'est un Plios City de chez Veloscoot (pliant parce que je vis entre deux maisons et que j'apprécie de pouvoir de temps en temps mettre le vélo dans mon coffre). Un bras, vous dis-je. Mais j'ai préféré, à tort ou à raison, acheter plus cher mais bon, chez un fabricant qui a des chances de rester joignable le jour où ma monture aura besoin d'un vétérinaire, qu'à prix cassé et qualité douteuse dans une enseigne de grande distribution qui ne se souviendra même pas de l'existence de mon vélo dans deux ans. (Et à propos du prix, il ne faut pas oublier de penser aux sous qu'on économise en ne prenant pas sa voiture.) Je vous tiens au courant s’il s’avère que j’ai eu tort !
Bref, tu en es contente ?
Ouiiiiiiiii… C'est simple : mon vélo électrique m'a rendu la route. L'effort sportif sulpicien n'est pas ma tasse de thé, et la topographie autour de chez moi me gâchait la fête. Je retrouve aujourd'hui cette notion si particulière de la route, qui n'oublie ni la contemplation de la marche – ah, les odeurs de la nuit tombante ! Le genêt en fleurs ! L’élevage de dindes ! – ni le sentiment de la longueur du chemin, ni la vue d'ensemble du déplacement rapide. Sans compter que, comme pour tout trajet à vélo, la sécurité suffirait à justifier les itinéraires bis même si le tourisme ne les réclamait pas. Bref, je passe par toutes sortes de routes dont j'ignorais l'existence, je vois d'un autre œil celles que je connaissais, j'en découvre sans cesse de nouvelles et la relative impunité du vélo électrique m'autorise tous les crochets exploratoires : on n'est pas à trois kilomètres près. J'ai l'impression de faire la connaissance de mon petit bout de pays… Je ne suis pas près d'oublier le Lannion-Loguivy-Plougras d'un soir de fin août dernier : la météo annonçant de la pluie pour le lendemain, les moissonneuses-batteuses étaient toutes de sortie. Les champs étaient dorés, le soir était bleu-violet, la lune se levait orange, énorme, les moissonneuses se répondaient en vrombissements et signaux de gyrophares. Le pays entier sentait la paille fraîche, les chauves-souris ne savaient plus où donner de la tête, c'était comme si tout le Trégor avait décidé de ne pas dormir, et moi je traversais tout ça comme un oiseau de nuit… C'est bien simple : depuis deux ans, je guette en permanence, dans l'emploi du temps et la météo, la prochaine occasion de laisser la voiture là où elle est. Et pour ça, vu mon rapport au sport, croyez-moi : le terme de miracle n'est pas trop fort.