Eh non, désolée de vous décevoir… Rien d’affriolant là-dedans; en dépit de certaines assonances, la bibliophilie n’est pas une pratique sexuelle extravagante – ou alors c’est qu’on ne me dit pas tout.
C’est juste qu’hier soir, mon amoureux est descendu de son bureau pour me montrer la jeune fille ci-dessus, parée à son épinette depuis plus de 300 ans et figurant, la malheureuse, parmi d’autres cas de monstruosité dans un épais volume du XVIIe siècle – Miscellanea Curiosa, en fait une des premières revues scientifiques de l’Histoire. (Si je ne m’abuse, la légende donne son nom, celui de ses parents, sa date de naissance – 18 février 1633 – et précise délicieusement qu’elle a le visage couvert «de beaux cheveux blonds».)
Mon amoureux, voyez-vous, vend des livres sur la Toile. Moi qui garde, de la fréquentation des armoires de livres de mon grand-père (il n’avait pas plus que moi les moyens d’être bibliophile à proprement parler, mais recueillait, comme je le fais, le classique sans valeur et le tome dépareillé), un goût animal, une véritable gourmandise pour le vieux papier – il m’est arrivé d’acheter un bouquin juste pour son odeur – vous conviendrez que ça tombe bien!
Il vend des livres, plus ou moins anciens, précisément des livres scientifiques, et principalement de sciences naturelles. Une des choses qui me plaisent est qu’à la différence de certains de ses confrères, il ne se cantonne pas à la pêche au gros: nombre des ouvrages qu’il vend ne sont pas des pièces de collection mais des articles et des monographies que l’on achète pour leur contenu fascinant – à condition d’être herpétologue, malacologue ou toutes sortes de choses en -ologue. Ce que nous y perdons, lui et moi, en espace vital – ’prend de la place, tout ça! – , nous le gagnons en une forme de poésie inédite.
Imaginez que chaque jour, en vous levant le matin, en rentrant le soir, vos yeux tombent sur un titre nouveau, sur la table, dans l’escalier, dans le couloir – un titre nouveau parce que les livres entrent et sortent de cette maison comme des voyageurs à Montparnasse un 13 juillet au soir – ; imaginez ensuite que dans dix-neuf cas sur vingt vous ne comprenez pas au moins un mot du titre en question, et dans environ cinq sur vingt pas un mot du tout. Ce sont pourtant de bien jolis mots, toujours à plusieurs syllabes et manifestement agencés entre eux de façon fort affirmative – et puis ce sont des mots importants, sans quoi on ne les mettrait pas en couverture d’un livre. C’est seulement que vous n’avez pas la moindre idée de ce qu’ils désignent…
Eh bien je ne m’en lasse pas. Je regarde passer ces titres avec la déférence d’un paysan du XIXe siècle écoutant la messe en latin: sans y comprendre goutte, mais comme rassuré par l’existence de tant de savoir obscur et par celle des quelques mortels qui le possèdent, et charmé par la pure musique de ces mots désencombrés de leur sens.
C’est pourquoi, influencée peut-être par la récente lecture de l’œuvre poétique d’Alphonse Allais, je vous propose les premiers titres qui me tombent sous les yeux ce matin:
The Genomoid Palms (J.G. Wessels Boer)
Die Verbreitung der Alchemilla-Arten aus der Vulgaris-Gruppe in Nordeuropa (G. Samuelsson)
Pilosocereus (Daniela C. Zappi)
Monopetalanthus exit., A systematic study of Aphanocalyx, Bikinia, Icuria, Michelsonia and Tetraberlinia (Leguminosae, Caesalpinioideae) (J.J. Wieringa)
Celui-ci n’a rien en couverture, mais quand on l’ouvre, c’est:
Die Saügetiere, Einführung in die Anatomie und Systematik der recenten und fossilen Mammalia, von Dr. Max Weber, Professor emeritus der Zoologie in Amsterdam - Band 1: anatomischer Teil, mit 316 Abbildungen im Text, unter Mitwirkung von Dr. H.M. De Burlet, Prosektor an der Reichsuniversität Utrecht.
Mon préféré du jour: Outeniekwa, Tsitsikamma & Oostelike Klein-Karoo (Audrey Moriarty).
Bonus: Synopsis Plantarum Phanerogamicarum, Novarum Omnium, per annos 1851, 1852, 1853, 1854, 1855 descriptarum. (Auctore Dr. Carolo Mueller berol.)
…et in secula seculorum aaaaaaaaaaaaaaamen!
PS: vous trouvez cette liste appétissante et parfaitement claire? Si ce genre très particulier de lèche-vitrine vous tente, l’animal opère sur www.strackbooks.nl .