JF cherche chanson légère (2)

Je cherche donc (cf courrier précédent) une chanson coquine, salace, grivoise, de salle ou de corps de garde, ce que vous voudrez. A dire vrai, même une honnête chanson d’amour ferait l’affaire, pourvu qu’elle ait ce petit «youp-youp-tralala» qu’il me faut pour faire pendant au Cantique du Purgatoire. (Oui, il est là aussi, celui-là… Mais c’est un air tellement magnifique, que voulez-vous.)


Il y a une bonne décennie de cela, le Centre Culturel Breton de Lannion avait réuni une brochette de chanteurs trégorrois pour le numéro X (comprenez: entre IX et XI) de sa série de disques, consacré comme il se devait aux chansons légères. J’étais de la partie, si j’ose dire, et déjà nous avions constaté ce dont je suis à nouveau témoin aujourd’hui: des chansons de cul, en breton, on n’en connaît pas – ahem – des tripotées.


Entendons-nous bien: il y en a. Sur un air très connu de gavotte Pourlet, on peut ainsi chanter «Tri doull he deus ma mestrez», «ma maîtresse a trois trous», ce qui prouve en passant la rigueur toute scientifique du Pourlet dans son approche de la gynécologie; mais tout de même, le sentiment général est qu’il y a étonnamment peu de textes de ce genre. Et surtout, à une paire – AHEM – d’exceptions  près, c’est à peine s’ils contiennent de quoi défriser un censeur américain de 1954. Comment se fait-il que nos mémoires et nos médiathèques soient si pauvres en chansons en breton à ne pas mettre entre toutes les oreilles, alors qu’en français je me souviens, à certains repas chantés de Haute-Bretagne, avoir littéralement rougi en chantant la réponse à des mamies bien remontées, tant leurs textes étaient explicites et – aheeeeeem – approfondis? (Je revois encore cette dame du Sel-De-Bretagne, solidement campées sur ses deux jambes, et nous donnant à répondre une histoire de goutte de lait à lécher au bout d’un bâton. Soudain on regardait les assiétées de boudin d’un autre œil…)


Il y a plusieurs hypothèses.


La première est que les conditions dans lesquelles ont été réunies la plupart des chansons collectées au cours des deux derniers siècles ne se prêtaient guère à l’émergence d’un répertoire salé: le collecteur est le plus souvent un étranger, mieux habillé, mieux appris et plus riche, quand ce n’est pas un petit-fils, voire le curé de la paroisse! En aucun cas quelqu’un devant qui on irait brailler la rengaine pornographique qui suppose une certaine forme de confraternité. Et puis les chanteurs n’étaient pas d’innocents sauvages, ils avaient conscience des enjeux du collectage et ne voulaient pas être immortalisés comme celui ou celle qui aurait chanté des horreurs. Je me souviens d’une interview sur Radio Breiz Izel il y a vingt ans, où Daniel Giquel, après qu’un couple âgé ait mentionné l’existence d’une chanson particulièrement grasse, les suppliait en riant de bien vouloir la chanter: à plusieurs reprises il parvenait presque à ses fins, les gens prenaient leur inspir pour commencer…  jusqu’à ce qu’un fou rire de délice et de vergogne les en empêche. La chanson, à ma connaissance, n’a jamais pu être enregistrée.


La deuxième explication est que le répertoire véritablement grivois n’est pas universellement réparti dans une population: qui chante le plus de chansons cochonnes, les jeunes gens en goguette loin de tout collecteur, ou les vieilles dames assagies (ou presque) qui constituent le gros des bataillons enregistrés?


Une troisième supposition est que, non, bel et bien, il n’y ait pas eu tant que ça de chansons de fesses en breton. Non que l’on ne parle pas de sexe chez nous! Loin, très loin de là. Mais d’une part l’acte sexuel sera plus souvent présent dans une histoire que véritablement central à celle-ci; d’autre part on préfère la métaphore ou l’allusion, transparentes ou non, à la description simple. On dit «pet» et «merde» sans sourciller; le sexe, lui, n’est (presque) jamais décrit autrement qu’en périphrases ou en images. C’est même son omniprésence comme «en creux» qui contribue à la saveur de l’histoire, puisque tout est décrit, ses conséquences, l’avant, l’après, jusqu’aux grincements du lit… tout sauf lui.


Ce qui m’amène à la quatrième hypothèse: peut-être aussi que nous ne voyons pas toujours les chansons de cul là où elles sont. Moi qui vous parle j’en ris encore: j’ai chanté un bal plin pendant dix ans avant de m’apercevoir que tout son texte, que je croyais gentiment galant, n’était qu’une vaste métaphore sexuelle assez détaillée… (La révélation m’était venue sur scène en le chantant; à la fin je m’étais tournée vers Ronan Guéblez: «mais ça ne parle que de cul, ce truc-là!» «Ben oui, fut la réponse interloquée. Tu ne le savais pas?») Il n’est pas impossible non plus que certaines ritournelles pour nous dénuées de sens aient commencé leur carrière comme refrains coquins. Enfin, et cela nous ramène au point précédent, là où la Haute Bretagne chante très clairement que quand la jeune fille repart «son petit sac était plein/ De la blanche farine, la plus blanche du moulin», les chanteurs de l’Ouest se contentent de raconter que «à mesure que le grain tombait dans la trémie / le meunier y allait de bon cœur / à mesure que la farine tombait dans le sac / le meunier embrassait la jeune fille»: la métaphore n’est pas aussi directe, mais c’est bien la même… Seulement, on ne la repérera pour ce qu’elle est que si l’on cherche des images de ce type, et non la version bretonne de «La Petite Huguette».


Car nous les remarquons d’autant moins, les chansons pour adultes, qu’elles se fondent pour nous dans un corpus plus vaste, sans la délimitation nette, la palissade conceptuelle qui s’est érigée – rahhhhhem – autour de leurs consœurs du répertoire urbain français. Personne, à ma connaissance, n’a publié de florilège de chansons sexuelles en breton (mis à part le Bro Dreger X susdit), en d’autres termes personne n’a attribué cette étiquette à une sélection précise de textes, de sorte qu’entre une histoire de meunier à peu près platonique et une autre plus salée nous ne voyons pas forcément de différence de nature.


Bien sûr, aucune de ces pistes n’exclut les autres. En attendant, votre servante cherche… Et peut-être qu’en définitive elle s’arrêtera sur une chaste histoire de tourterelle (bon, ça c’est une façon de parler: s’il y a bien une chanson que j’exècre, c’est «An Durzhunell». Des goûts et des couleurs, hein…). D’ici là, si vous avez quelques horreurs bien lestes à me suggérer, je suis toute ouïe!