(Photo Charles Vassallo)
J’ai évidemment beaucoup lu, écouté et regardé pour élaborer ce spectacle – même si je suis loin, tout aussi évidemment, d’avoir fait le tour du sujet ! Voici les sources des histoires que je raconte ou chante, ainsi que quelques lectures supplémentaires. (NB : cette liste est avant tout destinée à renseigner les spectateurs curieux après le spectacle. Certains points vous paraîtront obscurs tant que vous ne l’aurez pas vu.)
Les sources directes :
– L’origine du titre : « Les fantômes sont des choses qui arrivent » est le titre de l’article de Gregory Delaplace ouvrant le numéro 69 de la revue d’anthropologie Terrain, qu’il coordonnait. Une lecture que je ne saurais trop vous conseiller (et qui fut un des catalyseurs pour ce projet), un bouquet de points de vue et d’expériences de chercheurs sur le sujet des fantômes : entre autres l’archéologue Gilly Carr, dans son travail sur les bunkers allemands de Guernesey, plaidant pour l’inclusion des fantômes dans la compréhension du patrimoine matériel et observant leur rôle dans les stratégies mémorielles des générations ; et l’anthropologue Heonik Kwon à propos de son travail au Vietnam. (A noter que la revue est également un bel objet richement illustré.) Le blog de Terrain vaut également le détour. (NB : j’ai bien évidemment demandé la permission de Grégory Delaplace avant de lui emprunter son titre ! Toutefois, il va de soi que son accord ne signifie en rien qu’il ait surveillé ni cautionné le contenu du spectacle, dans lequel toute bêtise n’est imputable qu’à moi-même – je lui suis d’autant plus reconnaissante de cette autorisation.)
– C’est suite à cette lecture que je me suis procuré le marquant Ghosts of War in Vietnam de Heonik Kwon, d’où provient l’histoire de Bien et Fleur de Lotus (Cambridge University Press, 2008). L’ouvrage n’est pas traduit en français à ma connaissance, et c’est bien dommage car, tout en observant, avec un respect bouleversant de solidité, le rôle des fantômes dans la cicatrisation intime d’une population lacérée par la guerre, il remet au passage les pendules à l’heure quant à la mémoire occidentale des conflits du Vietnam et de la guerre dite « froide » – qui, nous rappelle-t-il, fut tout sauf froide en bon nombre d’endroits du globe. (Un grand merci à Heonik Kwon pour son autorisation de raconter cette histoire ! Laquelle, je m’empresse de le préciser là encore, ne signifie pas que le spectacle entier soit sous sa validation.)
– Autour de Maryvonne Le Flem : l’histoire du mariage d’Yves et Naïg est rapportée par Anatole Le Braz dans son monumental La Légende de la Mort (1893) sous le titre « La rancune du premier mari ». Si vous aviez assisté aux premières représentations de Maryvonne la Grande autour de la chapelle de Port-Blanc ou à la Roche-Jagu, vous m’avez entendue lire le texte de Le Braz en ouverture. Cette fois, pour Les fantômes…, je la revisite à la lumière des informations trouvées dans les registres d’état-civil. De même pour celle d’Erwan L’Ollivier et sa veuve : outre l’état-civil, j’ai aussi puisé aux notes d’Anatole Le Braz dans ses carnets (conservés au CRBC - UBO) pour nuancer la version donnée dans l’édition définitive de La Légende sous le titre « La semonce du noyé ».
La chanson « Trogadek » se trouve dans les Gwerzioù de Luzel pour les paroles, et le Musiques Bretonnes de Maurice Duhamel (1913, republié par Dastum et toujours disponible, et par ailleurs objet d’un certain livre-disque) pour sa mélodie, ainsi que pour celle de «Yannig/Erwanig Skolan », également chanté par Maryvonne Le Flem. Les paroles de ce dernier sont celles de Louise Grouiec, dont l’enregistrement par Ifig Troadeg est consultable à Dastum.
– La mauvaise nuit de Charles IV est racontée par l’empereur lui-même dans le chapitre 8 de son autobiographie (texte en latin ici, merci Wikisource) ; piètre latiniste, je me suis basée sur une traduction allemande de 1885 (merci Google), mais j’avais d’abord eu vent de l’histoire via Les revenants : les vivants et les morts dans la société médiévale, Jean-Claude Schmitt, Gallimard, 1994. (J’en profite pour remercier l’ami Lors Landat, authentique latiniste, lui ! pour m’avoir traduit deux autres textes médiévaux, eux aussi trouvés grâce à l’ouvrage de Jean-Claude Schmitt ; ils ont finalement fait partie de ceux que j’ai dû abandonner, mais non sans regrets : l’un donne la partition d’un air chanté par les morts d’un cimetière, et l’autre décrit comment, dans une cathédrale, un évêque surgit de sa tombe pour expulser un autre de la sienne à coups de crosse !)
– L’histoire de la jeune épouse et des ajoncs en fleurs (si vous l’avez entendue, car je ne la raconte pas toujours) se trouve dans Folklore of Guernesey, Marie de Garis, 1975. Vous ne le dénicherez plus qu’en bouquinerie, mais sans trop de difficultés encore. (Merci à Eva Guillorel pour ce conseil de lecture.)
– Le grand-père qui apprenait l’italien et le fantôme du vieux théâtre : entre (semble-t-il) 2011 et 2020, le blog féministe Jezebel, aux USA, a tenu un concours d’histoires vraies effrayantes pour Halloween. Il ne s’agit pas toujours de fantômes – les serial killers aussi ont la cote – mais la lecture des innombrables contributions de lectrices et lecteurs offre tout de même une belle plongée dans l’univers fantômatique des jeunes nord-américains. Le grand-père vient d’un commentaire sous le pseudonyme de Judders dans l’édition 2011, le vieux théâtre d’une réaction, par un(e) certain(e) Marqueeofstars, à une autre histoire similaire en 2020 ; dans les deux cas, il faut partir à la pêche en profondeur car ce concours suscitait des centaines de commentaires ! (Inutile de dire que j’avais présélectionné de nombreuses histoires issues de ce concours, avant de devoir, ô cruauté du processus artistique, renoncer à la quasi-totalité d’entre elles pour diverses raisons…)
– Germaine et François, et le sonnet de Shakespeare traduit, font partie de mon histoire familiale : les plus fidèles lecteurs du Kerbiquet Wheneverly ont déjà entendu parler de ces deux amoureux et de leur maison. (Vous aurez compris que l’épisode des vêtements de Germaine est un souvenir personnel.) Vous pouvez retrouver ici le texte du sonnet.
– Mr Tchebysheff et son appartement moscovite font l’objet d’un article dans le numéro 476 de juin 1931 du Journal of the Society for Psychical Research. (Consulté dans les fonds d’un bouquiniste de ma connaissance, mais certainement numérisé quelque part.)
– La gwerz d’Iwanig Bihan et de sa marâtre, chantée par la magnifique Marie-Josèphe Bertrand, est à retrouver sur Dastumedia (plusieurs références sous le titre « Al lezvamm », dont celle-ci avec le texte) et sur l’album consacré par Dastum à cette chanteuse hors normes.
– « Ma » version de The Unquiet Grave se trouve sous le titre « Cold Blows the Wind » dans le Songs and Ballads of the West de Baring-Gould et Sheppard (Methuen&Co, 1890).
– La comptine traditionnelle « Ma jardin » était chantée par Yann-Fañch Kemener sur son album Dibedibedañchaou.
D’autres ouvrages ont été au menu et ont contribué un peu ou beaucoup à la maturation de ce spectacle – attention, liste très hétéroclite et non exhaustive :
– Vinciane Despret, Au bonheur des morts (La Découverte, 2017) : même si la philosophe exclut pratiquement les fantômes stricto sensu de son champ d’interrogation, cet ouvrage sur les interactions des vivants et des morts était la lecture que m’a conseillée Grégory Delaplace lorsqu’il a eu la gentillesse de m’accorder un entretien. J’ai vite compris pourquoi.
– Claude Lecouteux, Fantômes et revenants au Moyen Âge (Imago, 1988) : parmi les nombreuses histoires auxquelles j’ai dû renoncer à regret, il y avait une spectaculaire hantise de saga islandaise, résumée dans cet ouvrage. (Spoiler : si une grande rousse mourante exige que l’on brûle les luxueux rideaux de son lit, il est préférable d’obtempérer.) De fil en aiguille, ma bibliothèque s’est aussi enrichie (à la différence de mon portefeuille) de plusieurs titres de Régis Boyer, dont ses Sagas islandaises pour la Pléiade (Gallimard, 2007).
– Daniel Giraudon, Sur les chemins de l’Ankou (Yoran Embanner, 2012) : une mine d’informations par un des grands collecteurs bretons de notre époque. Les détails pratiques sur la proëlla d’Ouessant me hantent encore.
– Grégory Delaplace, L’invention des morts : sépultures, fantômes et photographies en Mongolie contemporaine (Centre d’études mongoles et sibériennes, 2009) : comment, dans une société profondément différente de la nôtre, les gens gèrent leurs morts – les corps, la mémoire, l’oubli, la présence et l’absence – en s’accommodant des bouleversements politiques, sociaux et technologiques des cent dernières années.
– Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts (Gallimard, 1977) : pas la queue d’un fantôme dans ce grand classique, mais de la sorcellerie rurale et surtout une approche de l’ethnographie bouleversante pour une chanteuse trad d’aujourd’hui ! Un récit palpitant en même temps qu’une réflexion – construite non sans douleur – sur la nécessité, pour accéder à certains domaines humains, de renoncer à la place de l’observateur neutre et « sachant », d’accepter d’être impliqué dans son terrain d’études et donc d’en être affecté et transformé – et tout bonnement de ne pas prendre l’informateur pour un naïf… Pour nous qui, en Bretagne, nous débattons perpétuellement dans les problématiques de l’acteur-observateur et dans bientôt deux cents ans de collectages aux motivations et méthodes diverses, une lecture salutaire. (La condescendance, inconsciente ou non, envers l’informateur, et le désir de le trouver innocent, c’est-à-dire vierge de notre savoir, est un sujet qui me travaille fort dans mon propre domaine.)
– Camille Flammarion, Les maisons hantées (initialement chez Flammarion, 1923) : les démonstrations de l’auteur font leur âge, en ce sens qu’elles ne sont pas aussi « irréfutables » que l’avance gaillardement la 4e de couverture de mon vieux Folio, mais aussi qu’elles reflètent un temps révolu où d’authentiques scientifiques (Flammarion était astronome) espéraient sincèrement que la science apporterait une lumière définitive sur les questions occultes ; en revanche les témoignages qu’il rapporte, comme certaines de ses réflexions, gardent leur poids et leur saveur. Je vous conseille tout particulièrement le récit, par la romancière Manoël de Grandfort (dont la vie vaut elle-même un petit détour par Wikipédia !) de sa cohabitation avec un valet susceptible et un esprit frappeur qu’elle avait baptisé Coco – encore une histoire à laquelle j’ai dû renoncer… (A se demander s’il ne va pas falloir faire un deuxième spectacle !)
– Michael Cox et R.A Gilbert, The Oxford Book of Victorian Ghost Stories (Oxford University Press, 1991) : que de la fiction, donc par définition hors de mon sujet, mais une délectable promenade dans la « folie fantômière » des Victoriens.
– Sous la direction de Marie Laureillard et Vincent Durant-Dastès, Fantômes dans l’Extrême-Orient d’hier et d’aujourd’hui (Inalco, 2017) : une somme très largement consacrée à la littérature, mais qui m’a évidemment aidée à comprendre d’autres lectures (et que je suis, à vrai dire, encore loin d’avoir finie !).
– Christophe Pons, Le spectre et le voyant, les échanges entre morts et vivants en Islande (Presses Paris Sorbonne, 2002 – pour celui-ci, il faut faire un hold-up chez un bouquiniste). Je confesse me sentir moins chez moi dans le positionnement de l’auteur – il a des étonnements et des conclusions qui me laissent perplexe, s’agissant d’oralité par exemple – mais l'enquête est bien sûr passionnante.
– Mon libraire a levé un sourcil inquiet le jour où je suis venue chercher une commande qui comprenait deux ouvrages : à côté de Penvénan - Port-Blanc, histoires et anecdotes, j’avais commandé Malmorts, revenants et vampires en Europe. Je lui ai dit que c’était pour le travail, ça n’a pas eu l’air de le rassurer… (Le premier est de Luc Corlouer et Pierre Bruger, éditions Le Cormoran, ne comporte nul spectre avéré mais pourra intéresser les amis de Maryvonne La Grande ; le second rassemble des actes d'ateliers sous la direction de Jocelyne Bonnet-Carbonell, chez L'Harmattan).
…Et un dernier, que je n’ai pas relu depuis 33 ans, mais que je dois citer comme peut-être à l’origine de tout ceci : James M Deem, Le dossier fantômes (Castor Poche, Flammarion, 1988 – là aussi, bouquinerie seulement, mais celui-là ne vous ruinera pas !). J’avais toujours adoré les fantômes de fiction, et ce « livre jeunesse » américain – dévoré en avant-première car traduit par ma maman – a été le premier à me faire découvrir que ceux des histoires vécues ne leur ressemblaient que très peu et qu’ils étaient d’autant plus intéressants qu’ils étaient moins romantiques. Quoique tout plein des concepts du « ghost hunting » que la télé-réalité a usés jusqu’à la corde depuis (son titre original était How to Find a Ghost, comment trouver un fantôme), le livre adoptait une attitude de simple écoute sans jugement du récit d’autrui… assez proche, tout bien pesé, de celle que je tente de partager dans ce spectacle !