Un petit mot qui réchauffe

J’adore la façon dont, parmi les milliers de mots que nous manipulons du matin au soir, de temps en temps il y en a un qui nous plaît. Tous les autres ne nous paraissent que sens, fonction, et tout d’un coup celui-ci se révèle forme, musique.

En allumant le feu ce matin, le mot chéri qui me dansait dans la tête était «keuneud». Keuneud, c’est tout le petit combustible: petit bois, mais aussi ajonc sec, par exemple.

Il y a très longtemps que j’adore ce mot et je ne sais pas pourquoi. Parce qu’il évoque à lui seul l’embrasement, le chaud bienfaisant dans le froid humide? Parce qu’il parle de talus, de bois, de chemin de terre, d’âtre ouvert dans une maison sombre? La seule chose sûre c’est que j’aime aussi le prononcer: ce double «eu» qui trouve une place bien à lui dans la bouche (rien à voir avec un «que» français), le «t» final (1) qui le clôt comme une étincelle… Keuneud. Keuneud…


Et puis s’il n’existait pas, l’humanité serait contrainte de se passer de toute la profondeur métaphysique de ce refrain éternel:


N’eus tamm keuneud, n’eus tamm tan, n’eus tamm alumetez

Ha penaos ‘rin-me bremañ da vouchañ da ma mestrez?


(Il n’y a pas de petit bois, il n’y a pas de feu, il n’y pas d’allumettes

Et comment je fais, moi, pour embrasser ma maîtresse?)







(1) La graphie en «d» n’est qu’une convention: les consonnes finales, en breton, deviennent voisées ou non en fonction du phonème qui les suit. Si je prononce le mot isolément, «keuneud» se dira «keuneut».