Jingle bells

Un des patients d’Oliver Sacks, atteint d’hallucinations musicales, expliquait non sans rage qu’elles étaient «tonales» et «ringardes». Un démon pervers avait décidé que cet amateur de dodécaphonisme et de musique de chambre finirait sa vie sur un fond permanent de berceuses, de chants de Noël (quand ce n’étaient pas les marches nazies qui avaient glacé son enfance de juif allemand!) et d’une symphonie de Tchaikovsky qu’il trouvait geignarde.


Pour ma part, je formule cette ardente prière: qui et où que vous soyez, s’il doit m’échoir d’entendre moi aussi de la musique jour et nuit dans mon grand âge et si vous avez le pouvoir de faire en sorte que ce ne soient pas le genre de chants de Noël dont nous gratifient les commerçants depuis trois semaines, considérez que mon âme vous appartient.


Je l’ai déjà dit l’année dernière: j’adore Noël, là n’est pas le problème. Les cadeaux? Avec joie! Les gourmandises? Et comment! La réunion familiale? J’accours! Mais des chansons déjà sucrées, réarrangées avec triple dose de crème, arrosées de miel et de réverb au mixage et tartinées de beurre pour la présentation… non seulement dans les magasins, mais même dans la rue, vous poursuivant jusqu’à la portière de votre voiture… Tout ça pendant UN MOIS?  D’où me vient cette soudaine envie de sacrifier des poulets et de tracer des pentagones au sol?


L’autre jour au centre Leclerc, j’ai failli lâcher là mes courses  et sortir en courant. Je n’exagère pas: la voix d’une jeune femme qui faisait de gros efforts pour sonner comme un garçon pré-pubère, ânonnant «Petit Papa Noël» sur fond de synthé et de clochettes, me rentrait dans les tripes en suivant les chemins que la musique, la vraie, y trace jour après jour, et commençait à susciter les premiers symptômes d’une intoxication alimentaire… 


L’antidote? Vous avez le choix. A ceremony of carols de Benjamin Britten. N’importe quelle version du Noel de Sainte Brigitte (Noel Berc’hed), si vous avez un chanteur de gwerzioù sous la main. Ou bien, si vous vous sentez d’humeur sarcastique, cet article du site de Libé pourrait vous dégager les bronches. Pour un instant, du moins. Car l’allergie aux sucreries musicales de Noël se double, chez moi, d’une certaine vergogne: c’est un plaisir amer, à haute dose, que de mépriser les tendresses d’autrui… Là où nous ne voyons que convention et cliché, il peut toujours y avoir, chez quelqu’un d’autre, émotion unique et profonde. Même sur «Petit Papa Noël» – je veux le croire.


Peut-être faut-il, alors, laisser le mot de la fin à Siouxie and the Banshees