Grosse rogne de saison

Ah oui, tenez, en passant: j’exècre, j’abhorre, je conchie la Saint Valentin. Plus encore que les Pères Noël suppliciés, c’est dire. Longtemps le célibat m’a privée du droit légitime de le dire sans passer pour une vieille fille pisse-vinaigre. Puisqu’il se trouve que cette année ce n’est pas le cas, profitons-en. Oyez!

Qu’est-ce que c’est que cette façon de venir me dire, sous couvert de célébration, ce que je devrais avoir et ce que je devrais faire, dans la sphère entre toutes où ce que j’ai et ce que je fais ne regardent que moi et le cas échéant quelqu’autre adulte consentant?

Si encore l’on fêtait l’amour pour lui-même, sous toutes ses formes (et manquer d’amour, c’est encore une forme d’amour), mais non: on veut le COUPLE. Si vous y êtes, on prétend connaître et anticiper vos désirs et jusqu’à la coupe de vos petites culottes; si vous n’y êtes pas, ce qui est en général un état plutôt subi que choisi, tant pis pour vous: vous n’existez pas, vous êtes exclu du club. L’amour de la Saint Valentin, celui des prospectus et des magazines, est un privilège de nanti, une rente de petit propriétaire assis sur son pécule affectif, un signe extérieur de richesse jeté à la figure de ceux qui n’ont rien.

Et si encore l’image de cette richesse était ressemblante! Mais le cirque de la Saint Valentin, bien plus encore que celui de Noël, se caractérise par une ahurissante pauvreté d’imaginaire: roses rouges, dessous neufs (Gainsbourg, reviens!) et dîner aux chandelles, voilà ce à quoi se résume, semble-t-il, l’expérience humaine peut-être la plus bouleversante, la plus singulière, la plus changeante et surtout la plus universelle après la filiation! J’en ai des envies d’étrangler un directeur de supermarché avec un string en dentelle polyester rouge qui gratte, non sans lui avoir au préalable fait ingurgiter une boîte entière de “Mon Chéri”, format familial, sans les déballer.

La simple existence des fêtes dessine déjà les contours d’une société ? Ce que l’on célèbre, c’est que ce que l’on tient pour plus précieux?  Que l’on porte l’amour sur cette liste, même si ce sont les chocolatiers qui le font, n’est pas a priori pour me déplaire. Mais que, sous prétexte de l’honorer, on se mette à nous inculquer les formes qu’il doit prendre, en d’autres termes: que la fête, loin de se contenter de chanter une valeur, se mette à marquer – et avec quelle indigence de trait! – une NORME, dans le domaine même qui devrait être celui de la liberté et de l’invention, me met en rage. Rage plus écumante encore lorsque, amoureuse, je suis directement visée que lorsque, célibataire, je suis ouvertement exclue.