Du Breton et des températures négatives

Ici le sud de la N12. Je vous écris d’un pays catatonique, où toute activité est suspendue jusqu’à nouvel ordre. Le facteur n’est plus qu’un bon souvenir, les rendez-vous et autres contrats ont été remis à date ultérieure. Poussés par la pénurie de chocolat et de pâtée pour chien, nous avons consacré l’après-midi d’hier au ravitaillement: trois heures et demie de marche, aggravées par la vexation de constater qu’à cinq kilomètres de la maison l’axe Belle-Isle-En-Terre/Callac est tout propre, alors qu’autour de nous les routes (ex. ci-dessus) ne sont que neige damée, fondue et regelée sur laquelle même le piéton risque son col du fémur (l’âge moyen du piéton, ici, étant relativement élevé).


Bref, on est en janvier. C’est l’hiver. Et l’hiver, il arrive qu’il neige.


Amis lecteurs des montagnes – les vraies, celles qui font plus de 400m de haut et qui n’ont pas de chapelle au sommet –, qui peut-être ne mesurez pas la gravité de la situation, il faut que l’on vous explique: le Breton et la neige vivent dans l’incompréhension mutuelle la plus totale. Pour ainsi dire ils s’ignorent, et l’année entière passe sans que l’un se soucie de la simple existence de l’autre. Cela donne à chaque épisode neigeux en Bretagne un romantique sentiment de première fois; c’est qu’ici, voyez-vous, «il ne neige pas». Il ne gèle pas non plus, d’ailleurs, ce qui vaut à un certain nombre de plantes méditerranéennes de passer de vie à trépas dans des jardins crédules quand, tous les deux ou trois ans, le thermomètre décide qu’il a envie de connaître les sensations d’une descente à moins six ou huit.


Moi qui vous écris, croyez-vous que j’aurais des pneus hiver tout prêts dans mon garage? Ou même de simples chaînes? Nenni. Il ne neige jamais, vous dis-je. Bref, au premier flocon le Breton panique, annule tous ses rendez-vous et entre en hibernation jusqu’au dégel; à l’opposé, il peut aussi bien décider d’aller tout de même à sa réunion macramé malgré les quinze centimètres qui recouvrent la route, au pire finissant au fossé à deux cent mètres de la maison, au mieux damant aimablement la neige pour ceux qui auront VRAIMENT besoin de rouler. Dans un sens comme dans l’autre il fait preuve d’une méconnaissance totale et sans remords des petits et grands dangers de cette météo exotique.


Je me souviens que Sam De Agostino, le batteur de Dupain originaire de Gap, s’était bien payé ma fiole le jour où, voyant un soupçon de sucre glace tomber sur la route, j’avais appelé pour dire que je n’étais pas sûre de pouvoir venir… Mais cette fois je peux plaider l’impuissance: ma ferme décision de rallier mon bord de mer, même à 3 km/h, pour y passer les prochains jours à l’abri du blizzard, a rencontré son destin à un kilomètre d’ici dans le premier raidillon où ma voiture s’est mise à savonner misérablement. Me voici prisonnière du Centre-Bretagne. Au loin, j’entends hurler les tigres à dents de sabre.