* Al Levrioù glas / Les chants du livre bleu

(Dimanche 22 mai prochain à Plufur, chapelle St Nicolas à 17h00.) 


Au départ, c’était une envie de disque, qui nécessiterait tôt ou tard quelques interprétations publiques; puis d’une discussion avec les organisateurs du Petit Festival est née une idée de concert à part entière. Quand pour finir ils m’ont montré la chapelle Saint Nicolas à Plufur, étonnant endroit à la fois chargé et vacant, comme un coin de nulle-part au milieu du plus beau des ici, le concert-dans-ma-tête a pris des couleurs plus spéciales encore.

Histoire que vous n’ayez pas à lire toute la tartine ci-dessous, voici l’essentiel: il s’agira d’un concert a capella en acoustique (et même, en l’occurrence, sans électricité!), entièrement constitué de chants traditionnels tirés des Musiques Bretonnes de Maurice Duhamel, et qui s’amusera quelque peu avec les notions de musique écrite et orale, de lecture, d’histoire racontée, et les différentes présences d’une chanson et d’une voix… 

Un beau jour de l’année dernière, j’étais en train de consulter, pour la 8 742e fois, une page des Musiques Bretonnes de Maurice Duhamel. 430 mélodies traditionnelles en partitions, publiées en 1913 et visant à faire pendant aux textes collectés par Luzel quelques décennies plus tôt. Rééditées par Dastum, les Musiques Bretonnes figurent parmi les ouvrages de référence de base, et plus d’une plage de disque célèbre y trouve son origine depuis fort longtemps.

Mais c’est aussi un ouvrage qui, dès que l’on s’y plonge un peu, pose toutes sortes de questions: écrire une mélodie, c’est la schématiser, a fortiori pour une mélodie orale qui n’a pas été construite dès sa naissance avec l’alphabet du solfège; la lire, c’est en quelque sorte se trouver face à un message codé sans savoir exactement quelle version du code l’expéditeur a employée. Ce n’est pas seulement, comme j’ai pu le croire dans ma prime et présomptueuse jeunesse, que l’oreille d’un musicien savant ne perçoit pas certaines choses; c’est surtout que ces choses ne peuvent pas s’écrire. Essayez de le faire et vous vous retrouverez avec un globi-boulga illisible et inutilisable. La tâche du lecteur, face à Duhamel comme face à n’importe quel autre transcripteur, va donc être en partie d’imaginer ce qu’il n’a pas écrit. Puis, s’il a écrit quelque chose qui sonne étrange pour nous (un calage rythmique curieux, un motif mélodique insolite), de se demander de quel élément connu on pourrait avoir là la traduction: «si je pense tel groupe de notes comme une ornementation, telle note longue comme un point d’orgue, etc., est-ce que la phrase prend plus de sens?».

Bref, j’étais en train de lire quelques pages de l’ouvrage quand l’idée m’est soudain venue que je pouvais trouver là l’occasion de simultanément combler mes envies de revenir un peu au chant solo a capella, de mettre à profit mon statut d’agent double entre musique savante et populaire, et tout simplement d’apprendre et de vous chanter plein de nouvelles histoires. Ainsi s’apprêtent à naître Al levrioù glas : Les chants du livre bleu (1).

 J’ai donc entrepris de lire tout Duhamel en prenant moultes notes (avec plein de questions et de micro-découvertes – pour moi! – dont j’aurai l’occasion de reparler), j’ai recoupé et recoupé jusqu’à une sélection finale, et je suis en ce moment en train de tâcher de voir si mes idées arrivent à tenir debout. Elles sont un peu étranges, mes idées – mais que voulez-vous, quand on passe ses journées dans un monde où les mauvais seigneurs kidnappent les jeunes filles, où les amoureux se font ermites sur des îles en attendant que leurs belles soient libres des les épouser, où les maris fidèles se laissent convaincre en une phrase de tuer leur épouse et où c’est leur fils de deux mois qui prend la parole pour les confondre, quand on passe des heures plongée dans un livre à essayer d’imaginer la voix de gens morts depuis un siècle, et à se trouver touchée, malgré soi, par l’honnêteté et l’enthousiasme d’un très jeune homme qui a consacré plusieurs années à nous les faire parvenir (2)… Dans ces circonstances, il est peut-être normal que le matériel que j’emporte pour la répétition de demain comprenne trois pianos-jouets, un harmonium, un carillon, des bougies, un métronome et beaucoup, beaucoup de papier?



  1. Pourquoi bleu? C’est tout bête: la réédition des Musiques par Dastum est d’un bleu roy sans vergogne, tandis que l’édition 1971 des Luzel opte pour l’outremer. Ce devrait donc même être «les livres bleus», mais je n’ai gardé le pluriel qu’en breton pour l’excellente raison que le singulier me semblait plus joli en français. Na.



  1. J’aurai l’occasion d’y revenir, mais ce n’est pas la moindre des choses à porter au crédit de Duhamel que l’on puisse aisément imaginer, à partir de la plupart de ses notations, la voix d’un interprète.