Ce mois de septembre aurait été magnifique si les Dieux n’avaient pas décidé de le balafrer de la plus affreuse façon (voir courrier précédent). Il fut riche en rencontres, en ces contrastes qui sont le délectable produit de mon parcours «carpe et lapin, option thon-chocolat», et en simple beauté. Le mercredi à l’Opéra Comique, le samedi à Argenteuil, le dimanche sur le plancher sous la mairie de Poullaouen… et le lundi sur la vedette pour une semaine de répétitions à Bréhat. Juste comme j’aime!
Que les choses soient claires: l’Opéra Comique, j’y étais juste en tant que modeste troufionne dans les rangs de l’ensemble vocal Mélisme(s) (pour la Nuit de la Voix, Fondation Orange). L’occasion cependant de flairer cette magnifique salle, avec son mélange, si caractéristique des théâtres à l’italienne, d’opulence grandiloquente côté public – mosaïques, cariatides dorées et plafond peint – et de coulisses étriquées et ternes comme de vieux couloirs de pensionnat, qui font penser à Colette et à Degas…
Et Bréhat, c’était pour une toute nouvelle aventure, une histoire à suivre d’ici quelques mois: figurez-vous qu’après les maliens, les jordaniens, les japonais, les danseurs contemporains, les jazzmen et les rockeurs progressifs, je suis invitée par… des musiciens trad français. Si, si, comme je vous le dis. Et ce n’est pas la moins troublante des explorations.
J’espère que mes camarades me pardonneront de faire court pour cette fois: Vertigo (je mets la page en lien car il ne fait pas bon, sur la Toile d’aujourd’hui, porter le même nom qu’un chef-d’œuvre d’Hitchcock!) s’est formé autour du duo Eric Montbel (cornemuses françaises dont il est un des spécialistes) - Bruno Le Tron (accordéon diatonique). L’idée des deux compères était de réunir, autour des évocations et des répertoires de leurs instruments, des sonorités associées à d’autres univers dont elles apporteraient le parfum. Soit la musique bretonne pour Franck Fagon (clarinette et sax dans Yao, Dizano et j’en passe bien d’autres), le monde classique pour Michel Rey (batterie, vibraphone), et le jazz pour Laurent Cabané (contrebasse).
Un album et un spectacle ont déjà vu le jour, au sortir desquels nos amis se dirent – n’allez pas me demander pourquoi – qu’ils auraient volontiers invité une voix dans l’histoire, histoire de tout chambouler à nouveau. Et pourquoi pas une voix bretonne. C’est alors que mon téléphone sonna…
Nous voilà donc en tout début de travail; suite du feuilleton en 2011… mais ça s’annonce palpitant. J’écrirai la dissertation complète un autre jour – peut-être quand de nouvelles discussions à bâtons rompus auront donné plus de substance à ce qui n’est chez moi, pour l’instant, qu’intuition et hypothèse. Mais je peux déjà dire ceci: d’une part, je crois que sur scène il va y avoir de l’appétit et du goût… D’autre part travailler pour une fois non avec des Autres lointains mais avec des voisins de palier, c’est une aventure intellectuelle d’un autre genre mais non moins formatrice. C’est une chose de mettre en valeur les passerelles, humaines et musicales, entre des mondes visiblement éloignés ne serait-ce que dans l’espace. C’en est une autre, face à un univers beaucoup plus proche et pourtant différent, de démêler le réel du fantasmé dans ses propres habitudes de pensée. Cette semaine a été l’occasion d’échanges passionnés, et d’une intense cogitation qui se poursuit aujourd’hui – sur les différents types de transmission de la musique bretonne et la façon dont ils fondent notre rapport à elle, plus largement sur les contextes qui viennent en nous s’associer à une musique, sur les nombreuses acceptions du mot «traditionnel», sur les éternelles questions de légitimité qui, plaie héréditaire de tous les artistes, prennent un sens particulier pour les musiciens trad, et que les bretons, je crois, gèrent (en bien et en mal, du reste!) d’une manière qui leur est propre, etc…
Bref, quoi de plus plaisant que de passer une semaine sur une île magnifique et d’avoir l’impression d’en revenir un tantinet moins bête? Pour le reste, affaire à suivre d’ici quelques mois! J’ajoute juste que le plaisir n’était pas que cérébral, et qu’il s’agit là avant tout de bonne et joyeuse musique – sans quoi il y aurait lieu de s’inquiéter.