Où ai-je donc passé la magique journée qui m’a menée de mi-août à la semaine dernière, écornant salement ma régularité épistolière? Eh bien, dans cette photo, c’est-à-dire en résidence à Lamballe, au centre culturel Quai des Rêves. Pour le bronzage, ce n’est pas le meilleur choix. En revanche, pour travailler à la fois sereinement et intensément avec des gens dont la présence au monde rend le monde meilleur, ça se défend bien.
Bref, je viens de passer quatre semaines en répétitions avec la chorégraphe Christine Rougier (à gauche sur la photo) pour sa pièce “Solitaire”, qui sera créée le 7 mars 2008. Nous sommes deux sur scène: le danseur et chorégraphe Matthias Groos (ci-dessous) et votre servante; troisième acteur invisible, le compositeur Michel Bertier dont une partie de la musique est improvisée en direct.
Le problème avec la danse – peut-être plus encore qu’avec la musique – c’est qu’il est extrêmement difficile de parler en termes simples d’un art qui s’exerce précisément dans le non-verbal et très souvent dans l’indicible. “Solitaire” est une “méditation chorégraphique sur la figure du héros”, nourrie entre autres du personnage de Don Quichotte. Vous voilà bien avancés avec ça.
Essayons autre chose: deux personnages qui n’en forment peut-être qu’un (ou qui voudraient, ou qui se souviennent, ou, ou…), dans un beau milieu de nulle part parfaitement neutre, se croisent, se rencontrent pour la millionnième première fois, parfois s’épaulent miraculeusement, parfois se heurtent. Il y a de la petite enfance, du ridicule et de l’immensité dans la façon qu’ils ont d’être chacun entièrement absorbé dans le but à poursuivre, ainsi qu’une beauté d’autant plus grande qu’ils ne la perçoivent peut-être pas. Il y a une robe de duègne-insecte-poupée, œuvre de Cécile Pelletier (à droite ci-dessus avec Christine, et tout en bas un aperçu de son travail du métal. Cécile est une vieille connaissance qui m’avait déjà habillée deux fois pour Bugel Koar), une boîte à vent, des boucliers…
Ou alors, on peut dire que c’est un danseur étonnant, élastique, généreux, enfantin et viril, et une chanteuse qui s’éclate à faire des choses qu’on ne lui avait jamais demandé de faire – à commencer par ne pas émettre un son pendant toute la première demi-heure! et tout simplement, tout du long, être sur le plateau, chercher cette fois en silence, dans le geste, la même épure d’énergie et d’existence que dans une ligne de chant. On peut dire que c’est d’abord le monde singulier d’une chorégraphe qui ne suit aucune mode. Que cela sait être aussi drôle que profond, aussi tendre qu’ironique, que c’est – je formule la chose tout en tapant – plein d’un immense respect pour la fragilité et l’infiniment petit humain. Moui, c’est peut-être ça: c’est un spectacle qui célèbre, avec une délicatesse bouleversante, notre infiniment grand et notre infiniment petit.
Bon, ça n’est guère plus clair. Crénom, j’aurai essayé! En tout cas, vous l’aurez compris, nous avons travaillé dur mais travaillé dans la joie! Je me retrousse bien haut les manches, tant les cheminements les plus élémentaires me sont inconnus – car même si mon petit égo se convulse de joie quand les spectateurs des répétitions se disent agréablement surpris de “ce que j’arrive à faire”, je ne suis ni ne serai jamais danseuse. Mais Christine a l’intelligence de travailler avec la matière de ses interprètes, ce qu’ils sont, tout entiers: deux individus qui chantent et dansent sur scène (cet animal de Matthias a une très belle voix!), et dont il se trouve que l’un est très danseur et l’autre très chanteuse… Qu’il est doux et gratifiant de s’entendre demander, quatre semaines durant, des choses que vous ne savez pas encore faire, sans qu’il s’avère jamais qu’on vous réclame l’impossible. Et quand de surcroît ça se passe dans l’humour et la gentillesse… Il n’y a plus qu’à s’inventer, vite fait sur le gaz, un Bon Dieu à remercier.
“Solitaire” de Christine Rougier, création à Quai des Rêves (Lamballe,22) le 7 mars 2008.