Les voix du Seigneur sont par trop pénétrantes

Je me gare sur le petit parking du Yaudet; le ciel est plombé, le vent sournoisement frisquet, mais la mer est au rendez-vous et m’ouvre les bras de part et d’autre de la pointe, aussi calme et puissante qu’à l’habitude.

Je prends le chemin des écoliers – on a tout son temps lorsqu’on le vole – , via le rocher du sommet, redescendant en diagonale par les herbes folles des prés, par-dessus les pierres incendiées de l’ancienne ville. Passer le talus, contourner l’église; je sais fort bien où je vais et pourquoi je suis là.

Je pousse la porte; joie, elle est ouverte; re-joie, il n’y a personne, j’ai l’église pour moi toute seule. L’église et son silence.


C’est pour lui que je suis venue. Il y a dans cette église - rétrogradée officiellement en chapelle mais si manifestement église que je ne peux l’appeler autrement - une qualité de silence tout-à-fait spéciale. Un silence… chaud. Peut-être vient-il de ce qu’à l’extérieur, la mer, les vallées et le vent sont engagés dans une conversation perpétuelle que seuls les épais murs de pierre parviennent à arrêter. Peut-être aussi de l’ineffable sérénité de la statuaire dans cet église sans crucifié (1): le retable à la Vierge couchée où seules dépassent des draps de dentelle les têtes endormies de la mère et de l’enfant, veillés par le Père Eternel et la colombe dans un petit théâtre tout bleu, les Madones de procession ensevelies sous les broderies, et les bateaux des ex-votos en plein vol dans la nef… On ne sait ici si le temps s’est suspendu pour de bon, s’il est seulement ralenti jusqu’à l’imperceptible, ou si tout ce petit monde attend le départ de l’importun pour reprendre le cours de son activité.


Je m’asseois. C’est bien. C’est bon. J’avais besoin de ce temps, de cette – tendresse, c’est le mot –, de ce silence. Ce si bon silence, palpable, moëlleux, à peine troublé par le cri d’une mouette et un petit claquement derrière l’autel.


Un petit claquement derrière l’autel. Mon cerveau a déjà compris, mais n’ose encore transmettre l’information à ma conscience. Un petit claquement? Mais je suis seule. Il y aurait quelqu’un dans la sacristie? Ce doit être ça. Oui, mais j’entendrais d’autres bruits, des pas, des frottements. Donc, dit mon cerveau, par élimination, ce claquement ne peut être que… Non. Pas ça.


Eh si. Derrière un des panneaux de bois, la cassette audio qui filait tranquillement les minutes de silence finales d’une face A vient d’arriver en bout de course et d’enquiller la face B. Bientôt une chorale entière se presse dans le maigre entonnoir des petits haut-parleurs qui viennent de se matérialiser au-dessus de ma tête. Ça crachouille et ça pleuroie, l’église entière crachouille et pleuroie à la suite… J’essaie d’ignorer la nuisance, mais mes pauvres oreilles, entraînées à s’accrocher à toute musique, sont déjà accaparées – I-IV-I, IV-V-I, crouitchhhhhhh, shhh – un rideau de musique banalisée et déformée s’interpose entre le havre et moi… 


Je n’ai plus qu’à fuir. Alors que je referme la porte sur la chorale fantôme en pleine cadence plagale, c’est à présent la rumeur du dehors, vent, voitures, mer, qui m’apporte soulagement et quiétude. Le Très-Haut réprouverait-il que des mécréants viennent trouver refuge en Sa maison? Si c’est le cas, Il a des façons particulièrement perverses de le leur faire sentir.






(1): Rectificatif: il y en a un, j’oublie toujours… Un christ en croix d’assez belle taille, même, mais littéralement caché dans l’image tel le pigeon dans l’arbre d’une gravure 1900 - et camouflé, de surcroît, seule statue couleur muraille dans tout ce castelet multicolore. Il n’est visible que depuis le flanc gauche de la nef!