Saines lectures

Je suis une ânesse.

La chose ne sera sûrement pas une nouveauté pour bon nombre d’entre vous; mais moi qui espère toujours que le temps vienne apporter une légère amélioration sur ce point, je viens hélas d’en avoir une nouvelle confirmation.


Cela fait deux ans que j’ai acheté «Ma ’m bije bet kreion», le recueil, publié par Dastum Bro-Dreger, des chroniques musicologiques de Bernard Lasbleiz (accordéoniste, enseignant, collecteur, chercheur) pour la revue Musique Bretonne. Je l’ai acheté puis j’ai commis une grave erreur: je l’ai tout de suite rangé parmi les ouvrages de référence. A lire quand j’aurai un peu de temps. Ha ha ha.


C’est que pour un ouvrage comme celui-ci, il ne faut pas attendre d’avoir un peu de temps! C’est même quand on n’en a pas, de temps, quand tout presse, qu’on a le plus besoin de lire des textes de cette eau.


Je viens – enfin – d’y mettre le bout du nez et en quelques lignes j’y étais plongée toute entière. La honte de mon asinité une nouvelle fois démontrée n’a d’égale que le bonheur de lecture: des chroniques précises, redoutablement documentées, des recherches passionnantes et clairement exposées (ce qui n’est pas le plus facile!), des témoignages de première main qui chahutent, l’air de rien, bien des idées reçues sur la musique bretonne…


Le tout avec une objectivité qui n’exclut ni l’humour, ni l’enthousiasme. Car, et c’est peut-être là ce qui fait que, depuis que je l’ai ENFIN ouvert, cet ouvrage voyage de la table de nuit à celle du petit déjeuner, chacun de ces textes véhicule une approche de la musique bretonne à la fois amoureuse et sans complexe, aussi libre que possible de fantasmes projetés et de préjugés.


Bernard rappelle, en préface, qu’étant lui-même un acteur engagé dans la pratique et la transmission de cette musique il ne peut prétendre être un observateur neutre. C’est sans doute vrai, mais il n’en reste pas moins qu’il mène ses recherches et nous en fait part avec un souci d’objectivité, une façon de ne rien rejeter comme mineur ou inintéressant, qui apporte au lecteur une généreuse dose d’oxygène. J’ai l’impression qu’il a trouvé, et de fait nous indique, une façon de résoudre ce problème de l’engagement de l’observateur: si votre vision d’une matière ou d’un terrain risque d’être biaisée parce que, étant vous-même impliqué dedans, vous pouvez être influencé par ce que vous aimez ou n’aimez pas, une des issues possibles consiste à… tout aimer. Tout traiter avec un égal respect, débusquer l’attachant, l’intéressant, le spécifique en chaque chose, indépendamment des grilles de lecture qui jugent une chanson ou une pratique à l’ancienneté, la haute tenue poétique, la complexité ou l’originalité.


Bernard enquête sur les orchestres de jazz bretons des années 30, recherche les origines de la mélodie d’une chanson publicitaire pour… une boisson au cola, remonte le temps à la recherche d’un air ultra-connu, démêle les allers-retours entre cantiques et chansons profanes, avec autant de connaissances que de légèreté. Des choses grandes et petites perdent un peu de leur mystère sans rien perdre de leur prix.


Cette approche «démystifiée» de la musique bretonne, Bernard n’est évidemment pas le seul à la pratiquer. Son travail s’inscrit dans la pensée des dernières décennies, qui considère que tout ce qui existe ou a existé mérite d’être observé, et que les goûts et désirs n’ont de place que dans les choix des interprètes. (En d’autres termes: je peux n’avoir aucune envie de chanter telle chanson, ou de danser telle danse, c’est mon droit. Mais ces dernières n’en sont pas moins intéressantes et importantes, parce qu’elles font partie du même ensemble que ce qui me semble être un chef-d’œuvre.) Mais il nous le livre avec une simplicité et une santé proprement revigorantes.


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