Le lieu: l’église de Quiberon (56); la date: samedi dernier. Les faits: l’Orchestre de Bretagne achève la première danse de la Suite Orchestrale de Bach. Et là, sacrilège, séisme, bérézina, n’aijedonctantvécu: une partie du public APPLAUDIT.
Chaque musique sécrète son lot d’usages, son étiquette propre, les détails accessoires qui deviennent primordiaux dès lors qu’ils servent aux initiés à se reconnaitre entre eux: par exemple, dans une ronde de gavotte, deux hommes dansant côte à côte sont soit touristes, soit saoûls, soit les deux; en jazz on applaudit à la fin du chorus (et la mauvaise langue en moi ne peut pas s’empêcher de persifler que c’est pour montrer qu’on a compris); et en musique classique, de nos jours, on n’applaudit pas entre les différents mouvements d’une même œuvre. Même s’il s’écoule dix secondes de silence et que le mouvement s’est achevé sur une bonne grosse cadence des familles, genre “attention, la fin arrive, c’est bientôt la fin, presque la fin, on est quasiment à la fin, voi… ci… laaaaaaaa… FFFFIIIIIIIIIN”. Et même si c’était magnifique et qu’on est heureux. En gros, c’est simple, on n’applaudit pas tant que le chef ne salue pas…
Chacune de ces règles tacites a, bien sûr, sa justification au moins originelle; je suis d’accord que le silence entre les mouvements est un instant puissant où résonnent la musique passée et celle à venir, et que des applaudissement brisent cette continuité. Mais pour autant, crénom, il ne s’ensuit pas que quiconque contrevient à la loi mérite le pal.
Ainsi samedi dernier: qu’un beau travail de préparation à l’école ait permis aux enfants de chanter avec nous, nul ne s’en plaindra; que les familles de ces enfants aient été présentes, itou; alors, que Bach les ait touchés, petits et grands, au point qu’ils applaudissent de tout cœur à la fin de la première pièce et qu’il leur en faille trois ou quatre pour comprendre le truc, était-ce vraiment la catastrophe que certains mélomanes mimaient avec force moues consternées?
Amis faiseurs de culs de poule, sachez que vos “rhôôs” scandalisés me gâchent bien plus sûrement mon plaisir, y compris quand c’est moi qui suis sur scène, que des applaudissements pied-tendre; souvenez-vous que ce sont vos parents qui suspendaient une représentation d’opéra durant 30 MINUTES pour ovationner la Callas à son entrée en scène… Et surtout, n’oubliez jamais que vous êtes forcément le plouc de quelqu’un – d’ailleurs ce soir, pour commencer, vous êtes le mien.