J’appelle ça “le principe de la fourchette dans l’égouttoir”: quand je chante dans ma cuisine, certains couverts entrent en vibration sur certaines notes et seulement sur celles-là: “vrrrt” fait la petite cuiller sur un do aigu, disons, et “bzzz” la fourchette sur un mi. La façon dont telle musique, tel texte ou telle image nous laissent poliment admiratifs, alors que d’autres vont nous atteindre à l’estomac ou nous tirer les larmes, relève du même phénomène: question d’accordage personnel, de structure moléculaire et d’âge du raton laveur.
Visitant avec Lydia Domancich, entre deux concerts, l’expo “Enfances” des Estivales Photographiques du Trégor à Lannion, j’ai fait la rencontre des images de Raymond Meeks, et tout d’un coup mes fourchettes et mes cuillers se sont senties toutes chose.
Les travaux de tous les autres photographes exposés sont également magnifiques, forts, intéressants et tutti quanti. Mais il y a chez Meeks un art de mettre au jour la scène-en-nous sous la scène devant nous, l’étoffe même de la conscience et du souvenir; un soin fou, bouleversant, de ce que peut raconter la forme; quelque chose de saisissant, dense et trouble comme l’eau d’une fontaine que l’on viendrait de remuer. Des images qui ne me quitteront plus…