PCI: le fest-noz inscrit par l’UNESCO!

C’est officiel depuis quelques heures: le fest-noz est désormais inscrit par l’UNESCO comme élément du Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité. Et je dois dire que je suis étonnée d’en être si émue…


Qu’est-ce que ça rapporte? Matériellement, rien! A ma connaissance le titre est livré sans le moindre kopeck, même pas une petite coupe sur un socle en faux marbre, rien, vous dis-je. Les bourses publiques ne vont pas se délier miraculeusement, les écrouelles ne seront pas guéries, les finances de chaque fête (et des musiciens!) ne vont pas, d’un coup de baguette de sureau bien placé, se mettre à gazouiller dans l’opulence. Ceux qui n’allaient pas au fest-noz hier ne vont probablement pas s’y précipiter demain en hordes touchées par la grâce (et la soif).


Alors ça ne change rien? Pas tout-à-fait. C’est déjà deux choses, et cela peut en être une troisième.


La première, c’est une reconnaissance. L’UNESCO est une organisation mondiale; cette inscription signifie que des représentants de la planète entière ont été d’avis que notre façon de faire la fête présentait des traits singuliers et dignes de l’intérêt de tout être humain curieux. Ça ne paie pas les sabots de bœuf (citation littéraire), mais ce n’est pas rien.


La deuxième, c’est l’aboutissement d’un gros travail d’équipe: une telle inscription ne s’obtient pas en claquant des doigts, mais en constituant et en défendant un solide dossier – et avant tout cela, il fallait encore en avoir tout simplement l’idée, la vision, et la foi de la croire réalisable. Du haut de cette bonne nouvelle, des années de labeur et de réflexion nous contemplent – et plus exactement depuis le mât d’un beau navire gréé par Dastum et à bord duquel se sont retrouvées un grand nombre de personnes et d’associations. Chapeau à chacun d’entre eux, et merci. (On peut aussi souligner que la constitution même du dossier a entraîné toute une dynamique de sensibilisation, en particulier parmi les élus et les médias. Quand bien même la candidature aurait été refusée, le travail n’aurait pas été vain.)


La troisième ne fait que commencer, mais cette inscription pourrait l’aider: c’est la reconnaissance locale ou presque… Car je ne l’apprends sans doute pas à la plupart de mes lecteurs, c’est à domicile ou chez les voisins qu’il y a encore du chemin à faire avant de dépasser des préjugés d’un autre âge – et les quelques commentaires que je viens de lire sur le site du Monde le confirment à coup d’expressions subtiles telles que «Trifouilly» et «danse provinciale». Si, si, «provinciale» – ça m’est toujours un petit choc de constater que ce mot existe encore… Le mépris, encore et toujours, ce mépris hélas encore trop répandu chez les gens en apparence cultivés, mépris de l’inconnu, de ce qui, échappant à la vue, ne saurait être digne d’exister – serait-il encore aujourd’hui un élément… du patrimoine culturel parisien, ou d’une certaine éducation classique française?


Je ne sais; mais en tout cas c’est un des buts de l’UNESCO de lutter contre ce genre d’ignorance, en attestant d’un intérêt mondial au-dessus des éventuelles dépréciations à plus petite échelle. Non, nous ne nageons pas en plein délire chauvin quand nous ressentons les joies violentes d’une ronde menée par des maîtres sonneurs ou chanteurs (avec ce que ce terme suppose chez eux de maturité, donc de temps) et portée par des danseurs qui ont de l’électricité à revendre. Non, les visiteurs qui nous font part d’une émotion forte, du sentiment d’une richesse profonde et du bonheur d’un instant ne sont pas la proie d’une illusion collective. Pas plus que les musiciens d’autres musiques qui, de plus en plus nombreux, disent leur respect et leur curiosité, quand ils ne s’essaient pas carrément à la pratique.


La liste de l’UNESCO est déjà longue et appelée à croître encore longtemps… avec, du reste, plusieurs autres candidats bretons à venir, dont le chant à écouter et les jeux traditionnels (1). Notre petite ligne n’y est ni plus ni moins importante que toute autre, et c’est très bien comme ça – à de rares et pathologiques exceptions près, nous ne nous croyons pas, nous, le pinacle de la civilisation! Mais notre petite pierre fait partie intégrante du vaste édifice; nous le sentons depuis longtemps, et dorénavant nous – «nous» c’est-à-dire, d’où qu’ils viennent, le public, les musiciens, les organisateurs, les noceurs, les visiteurs, tous ceux pour qui un fest-noz est un espace de vie –  avons un argument de plus à opposer à quiconque nous nierait cette dignité. Ce n’est peut-être que du vent; mais le vent est un grand transformateur de paysages. Ça aussi nous le savons bien. 






(1) L’un et l’autre sont candidats à une autre liste: celle du patrimoine culturel immatériel en danger.