Une heure et demie du matin; le dernier concert d’Al Wazan (dernier pour cette fois!) a reçu un très bel accueil à la Cité Universitaire Internationale de Paris (une drôle de ville dans la ville, soit dit en passant) et je viens de réintégrer mon terrier provisoire: chambre que j’ai découverte tout-à-l’heure et où je ne redormirai peut-être jamais plus.
D’un soir à l’autre, la pièce n’est jamais la même; le silence d’après concert, en revanche, ne change pas.
C’est un drôle de silence, épais, où traînent encore tous les sons qui y ont mené: échos du concert lui-même, superposition d’heures et d’heures de répétitions, lambeaux de conversations entre collègues, bruits de moteurs, d’assiettes… Il y flotte aussi, crescendo, toutes les demandes de la vie courante: des jours ou des semaines durant elles ont été remises à la fin du chantier, et la fin du chantier c’est maintenant.
Il y a enfin, dans ce silence, le bruissement des conversations à la sortie du spectacle: moment joyeux et désespérant où l’on voudrait voir tout le monde, passer du temps avec les vieux amis et faire vraiment connaissance avec les nouveaux, approfondir telle discussion, préciser tel point de vue… Au lieu de quoi le peu de temps disponible fait qu’on laissera filer tel dont on aurait voulu savoir plus, qu’une question restera en suspens, que dans la fatigue on aura mal exprimé une chose importante, ou qu’on aura été involontairement peu courtois, trop distant ou trop familier…
Tout ça bourdonne, ce soir comme toujours, dans le silence d’une chambre d’emprunt. Rien de tragique, aucune sombre malédiction pesant sur l’artiste, juste une mélancolie pas désagréable: la dissipation d’une belle et puissante griserie à laquelle on se sait promis à retourner bien vite…