Combien de fois, dans une vie de musicien, entend-on cette question? Et combien de réactions diverses peut-elle susciter? Cela va de la réponse simple et enthousiaste (sous-entendu: “merci de votre intérêt pour mon travail”) au frisson d’agacement difficilement dissimulé (“pourquoi me poses-tu cette question dont nous savons tous deux que tu vas t’empresser d’oublier la réponse?” – ça, c’est face à certains diffuseurs), en passant par le soupir de lassitude (“une fois la musique créée, il faut la faire vivre; comment vous faire comprendre que le travail d’un musicien ne se juge pas au poids de nouveauté annuel?”)…
Et pourtant il faut toujours y répondre avec son plus beau sourire. Tout simplement parce qu’il arrive que l’interlocuteur soit sincèrement intéressé, et/ou que notre travail soit majoritairement invisible. Les musiciens sont comme des cuisiniers dont on n’aurait conscience du travail que le temps qu’on passe à vider son assiette! Comme je ne reporte que les concerts sur l’agenda, il est normal, et pas forcément mauvais, que vous ne sachiez rien du temps passé en cuisine.
Jetons donc un coup d’œil à ces dernières semaines:
- il y a la simple continuation de l’existant: la reprise d’ Al Wasan a nécessité du temps de répétition, comme celle de “La chanteuse, l’infini et la clef à molette”. Loened Fall a répété également;
- il y a le développement des projets en cours: avec Annie Ebrel et Nolùen Le Buhé, nous continuons à explorer les voies possibles dans la “monodie à trois voix”; la semaine prochaine, reprise des expérimentations avec Jean-Michel Veillon et Gilles Le Bigot; l’ensemble vocal Mélisme(s) répète de nouveaux programmes; tout ça, c’est du labourage dont le résultat ne sera visible que d’ici quelques mois; et puis j’accepte avec joie l’invitation d’Emmanuelle Huteau pour un programme Purcell en avril, et ça non plus, ça ne se monte pas en dormant;
- il y a le travail à retardement par nature: l’enregistrement, qui ne commence à exister pour vous que lorsque tout est fini de notre côté! Il y en a deux dans les tuyaux ces temps-ci: les Noëls de Mélisme(s) pour la fin de l’année, et les Gwerzioù avec Nolùen, Annie et André Markowicz, pour le Théâtre de Cornouaille (diffusion prévue hors commerce pour l’instant).
- il y a le bête et indispensable travail personnel, sans objectif scénique (il est souvent intéressant de travailler précisément ce qu’on fait le moins bien!). Voire. Ces temps-ci je me fais plaisir avec les Histoires Naturelles de Ravel et Jules Renard. Tellement plaisir qu’il n’est pas exclu que je décide de vous les infliger pour de bon un de ces jours.
- il y a les jalons posés pour le plus long terme: là, on rentre dans un domaine ou les lois conjointes de la superstition et de la communication interdisent de donner des détails. Disons que si tout parvient à maturité, on peut voir dans les lignes de ma main et dans le désordre: un bagad, des japonais, des danseurs contemporains, une guitare fort électrique et une vielle itou, quelques airs d’opéra, des chansons à moi toute seule, un bandonéon familier, des mots – les miens et ceux de quelques autres – et même un cheval. Qui a besoin de raton-laveur dans ces conditions?